Opération « Siloé »

La Belle Dame n’a donné que deux ordres à Bernadette : « Allez boire à la fontaine et vous y laver » et « allez dire aux prêtres qu’on vienne ici en procession et qu’on y bâtisse une chapelle ». Pour les processions et les chapelles, les innovations n’ont pas manqué depuis 150 ans. Les fontaines (appelées vulgairement « robinets ») et les piscines permettent de répondre à l’autre invitation de la Vierge.

Juste avant le centenaire, les piscines ont été déplacées de la gauche à la droite de la Grotte. Les fontaines ont occupé alors l’ancien emplacement des piscines. En 2002, un Chemin de l’eau a été aménagé sur la rive droite du Gave, dans un site plus recueilli. Récemment, les fontaines ont été éloignées de la Grotte pour diminuer le bruit.


Depuis des années, je disais qu’il fallait aussi penser aux piscines elles-mêmes. Au terme de nombreuses conversations avec les uns et les autres, le Jubilé étant passé, j’ai estimé qu’il était temps d’enclencher le processus.

J’ai invité pour trente-six heures de travail quelques personnes ayant compétence sur le sujet : le recteur, le président de l’Hospitalité Notre-Dame de Lourdes et la responsable des piscines, le président de l’Unitalsi, le médecin du Bureau des constations médicales, une religieuse de l’Accueil Notre-Dame, le président de l’Association nationale des directeurs de pèlerinage, l’ancien président de HCPT et la responsable du centre d’information. Don Paolo Angelino représentait l’Oftal et le SPI ; M. Jean-Pierre Doublet, les hospitalités diocésaines françaises. Le président de l’Hospitalité de Barcelone et le Secrétaire général du SPI m’avaient envoyé leurs observations.

La rencontre a eu lieu les 9 et 10 juillet. Le compte-rendu se veut à peu près exhaustif. Il vise à refléter les échanges qui ont eu lieu pour que vous sachiez quelles sont les orientations mais aussi les questions qui demeurent.

Le point qui n’est pas sujet à discussion, c’est l’importance du bain dans les piscines pour beaucoup de personnes et l’expérience très forte que vivent ceux et celles qui servent aux piscines. Donc, à aucun moment et dans l’esprit de personne, il n’a été question de supprimer ce qui fait partie du patrimoine de Lourdes.

Cela n’empêche pas d’observer quelques points négatifs :

. la lourdeur du bâtiment à l’extérieur et sa froideur à l’intérieur ;

. la forme géométrique du « plateau », très allongé (8 longueurs pour une largeur), qui empêche un rassemblement dans la prière ;

. la proximité avec le passage de promeneurs qui repartent de la Grotte et qui ne sont pas concernés par les piscines ;

. l’afflux de demandes à certaines périodes, qui rend l’accès aux piscines impossible à d’autres qu’aux malades ; certes, ceux-ci, bien légitimement, sont prioritaires ; mais Bernadette s’est approchée de la source en signe de pénitence et non parce qu’elle était malade ;

. les réticences devant les procédures pour se déshabiller, quelle que soit la délicatesse des hospitaliers servant aux piscines.

Dans les échanges, ce point est apparu très important, bien qu’il ne soit pas toujours évoqué explicitement quand les gens parlent des piscines. Quant aux personnes qui y viennent, elles, savent (en gros) quelle est la procédure. Mais il faut penser aux autres, à ceux qui ne viennent pas et qui pourraient désirer, non seulement, « boire », mais « se laver ».

Faut-il imaginer des cabines individuelles qui permettent aux personnes valides de se préparer discrètement ? On pourrait s’inspirer de ce qui se trouve dans des lieux profanes, où les gens ont aussi à se dévêtir. Cela demande, évidemment, de la place.

Ce qui permet d’enchaîner sur une conclusion qui, je crois, est apparue évidente à tout le monde : il faut déplacer les piscines pour retrouver de l’espace. Ce n’est pas un sacrilège puisqu’elles l’ont déjà été, voilà cinquante ans. L’emplacement qui paraît le plus convenable est celui qu’occupe actuellement la Tente de l’adoration. La situation en zone inondable ne devrait pas être une objection insurmontable pour des installations à vocation aquatique. La fonction actuellement remplie par la Tente de l’adoration le serait, à l’avenir, par la chapelle de l’adoration agrandie pour pouvoir accueillir les malades : cela paraît techniquement possible.

Par hypothèse, la forme pourrait être circulaire ou elliptique, l’intérieur servant pour la préparation, la catéchèse, la prière, et les nouvelles piscines et autres installations se trouvant sur la circonférence. Les personnes qui attendent seraient ainsi protégées de la curiosité des passants et relativement dans le calme quant à l’acoustique. Il faut imaginer une progression à l’intérieur de l’espace. On ne sort pas du côté où l’on est entré. Il serait souhaitable que l’entrée soit plutôt à l’ouest et la sortie vers l’est, en direction de la Grotte, des basiliques et de la chapelle de la réconciliation.

Tous les participants, sont aussi tombés d’accord sur un autre point : il faut permettre un geste qui ne soit pas seulement de « boire » mais de répondre à l’autre invitation de la Vierge : « se laver ». Se laver ne veut pas dire forcément se plonger et, encore moins, être plongé. La pratique du bain, quasi baptismale, s’est introduite à cause des malades impotents et, peut-être, par imitation des stations thermales environnantes. Bien qu’elle ne soit pas désignée dans les paroles de la Vierge, elle a du sens même pour des personnes qui ne sont pas malades. Elle exprime une attitude d’humilité et de confiance.

Inversement, faut-il appliquer la même procédure, à quelques nuances près, que la personne soit valide ou non ? Il faut savoir que la procédure en vigueur demande de six à huit personnes par piscine. Ce qui entraîne des horaires d’ouverture jugés par beaucoup trop restreints. Or, le nombre d’hospitaliers et hospitalières pour ce service n’est pas indéfiniment extensible. A contrario, il ne faut pas opérer une ségrégation autoritaire entre personnes valides et invalides.

Pour les personnes invalides, il y a peut-être des enseignements à tirer de ce qui se pratique dans des maisons de soins ou de retraite pour personnes âgées, sans remplacer cependant l’humain par la mécanique.

On peut aussi réfléchir aux possibilités ouvertes par les matériaux modernes, éventuellement recyclables, autres que le linge, qui demande beaucoup de travail de buanderie.

Les nombres actuels paraissent difficilement dépassables : 400 000 bains dans 17 piscines ; 100 000 malades. En dehors du bain, pris d’une manière ou d’une autre, un autre rite doit donc être proposé.

« Se laver » : Bernadette a compris « se laver le visage », car le christianisme est la religion des visages. Pour se laver le visage, le pèlerin pourrait, soit se pencher sur une petite vasque, soit prendre de l’eau dans une vasque ou dans un courant d’eau pour s’en asperger, soit recevoir de l’eau tombant en rideau. Bien d’autres solutions sont possibles. Mais les pédiluves paraissent à exclure. Même s’il reçoit un peu d’eau sur le corps, le pèlerin n’en mourra pas. Il faut aussi se rappeler que, quand Bernadette a fait ce geste, elle était à genoux. Tous les pèlerins ne sont pas arthritiques. Ils pourraient, tout en se lavant, réaliser la demande de la Vierge à Bernadette : « Aquero m’avait dit d’aller baiser la terre en pénitence pour les pécheurs. »

Les lieux où se pratiquerait ce rite peuvent être mixtes : ce qui ajouterait de la souplesse dans le dispositif. Cette perspective d’un rite alternatif au bain pourrait réduire la déception des pèlerins qui voulaient se baigner mais qui arrivent quand les piscines sont fermées ou quand il y a trop de monde.

Il faut aussi prévoir des fontaines pour que les pèlerins puissent boire. L’invitation de la Vierge est double : boire et se laver. Il ne faudrait pas dissocier les deux gestes, comme si « se laver » était mieux que « boire ».

L’idéal est de permettre à chacun d’accomplir les actes qui correspondent à son attente, accompagné autant qu’il le souhaite, aidé autant qu’il en a besoin, mais sans être commandé comme à la caserne. Quel que soit le rituel choisi par la personne, l’Hospitalité sera toujours présente à proximité : sinon, toutes les dérives sont possibles.

Quel nom donner à ce lieu ? Même si cela doit prendre du temps pour entrer dans l’usage, il vaudrait mieux, en franchissant le Gave, changer aussi de nom. Pour l’instant, appelons ce lieu « Siloé », à cause de la parole de Jésus : « Va te laver à la piscine de Siloé – mot qui signifie ‘envoyé’. » Ce nom aurait l’avantage de marquer nettement l’orientation christologique du lieu et du rite. Ont aussi été cités les noms de Bethesda (ou autre lieu biblique), de « chapelle des eaux » ou de « Notre-Dame des Eaux » (en référence à la statue du jardin de Nevers). « Siloé » servira donc, pour l’instant, de nom de code.

La question principale est celle de la préparation des pèlerins, en groupe ou isolés. La plupart des participants ont observé que celle-ci avait baissé en qualité, voire avait disparu. Alors que la lumière est intégrée à la « liturgie » de Lourdes par la procession, et le rocher, la Grotte, par l’Eucharistie, les chapelains ne se sont jamais beaucoup occupés de l’eau et, en particulier, des piscines. Quelle que soit la compétence et la qualité spirituelle du Service des piscines, on paie aujourd’hui les frais de ce faible investissement pastoral et catéchétique. Même si les chapelains sont déjà très occupés, les Sanctuaires doivent intégrer Siloé dans leurs préoccupations pastorales. L’aumônier de l’Hospitalité a un rôle à jouer. Des diacres pourraient exercer à Siloé un ministère tout-à-fait convenable à leur ordre.

Dans le cadre de la préparation, le visuel et l’audiovisuel doivent être pensés dès maintenant.

Il faut aussi avoir en tête que le fait de boire et de se laver, sur l’invitation de Marie, est un sacramental disponible pour les chrétiens qui, pour une raison ou une autre, ne reçoivent pas les sacrements. Ce sont aussi des gestes que des non-chrétiens peuvent accomplir, en leur donnant du sens, et sans que les catholiques eux-mêmes aient à s’en offusquer. Il n’en va pas de même pour l’Eucharistie : nous ne donnons pas la communion à quelqu’un qui ne croit pas au Christ mort et ressuscité. Les gestes proposés à Lourdes sont disponibles, alors que, dans une paroisse, les gens pensent, à tort mais c’est ainsi, qu’en dehors de l’Eucharistie, l’Eglise n’a rien à leur proposer. C’est un aspect important de la mission de Lourdes : ouverture sans syncrétisme.

A Lourdes, l’eau est rattachée directement à la pénitence et donc, indirectement, au baptême. Il ne faut cependant pas trop insister sur le rapprochement avec le baptême à cause de la pratique évangéliste des re-baptêmes. A certaines heures, pourrait être proposée une prière pénitentielle qui débouche ou ne débouche pas, selon les dispositions des personnes, sur le sacrement de réconciliation. Il y aurait de toute façon intérêt à resserrer le lien entre Siloé et la réconciliation.

Au terme des échanges, un des participants a déclaré que le changement serait un moment « traumatique » mais pas mortel. Un autre, qu’il s’agissait d’un beau et grand « défi pastoral » à relever.

Notons encore quelques réflexions.

Les enfants. Mieux penser les lieux qui leur seraient consacrés.

La construction. Plutôt légère : le contraire de sainte Bernadette. Si possible, sans étage supérieur. Parmi les matériaux : le bois, le verre, la toile de tente. Penser à l’utilisation en hiver.

L’accès. Penser au cheminement vers Siloé afin de ne pas perturber les célébrations au podium de la Prairie. Voir comment se restructure tout l’espace de la Prairie, en se rappelant que les sentiers goudronnés ont été tracés pour le congrès eucharistique de 1981 et n’ont aujourd’hui aucune pertinence.

L’acheminement de l’eau. Il faut que le canal qui amène l’eau depuis la Grotte soit à ciel ouvert. Dans la conception des installations, il faudra veiller à l’économie et au recyclage de l’eau de la source.

Dans les locaux. Savoir qu’aujourd’hui les surfaces occupées par le Service des piscines sont égales à celles des piscines elles-mêmes. Il faut un lieu où les hospitaliers puissent se retrouver (ce qui avait été oublié dans les plans de l’Accueil Notre-Dame). Prévoir peut-être la possibilité de célébrer l’Eucharistie, le matin, avant le service.

La sortie. Après la préparation et le rite lui-même, sous une forme ou sous une autre, prévoir le temps et le lieu d’action de grâces (chapelle ?) et d’envoi. Il serait peut-être bon que les personnes reçoivent quelque chose qui leur rappelle ce temps fort qu’ils ont vécu, comme ce fut le cas avec l’insigne du Jubilé.

Infirmière. Les malades des pèlerinages sont ordinairement accompagnés d’un médecin ou d’une infirmière. La présence d’une infirmière pourrait être utile le reste du temps. Mais se pose le problème de la langue.

Budget. Lourdes a toujours innové. Siloé s’inscrit dans la logique de la construction des nouveaux Accueils en 1997-1998. Nous ne devons pas nous contenter de restaurer des basiliques. Les banques font confiance à Lourdes, même cette année. Une provision a été constituée en vue de ce projet annoncé depuis longtemps. Il ne faut pas confondre cet investissement avec le fonctionnement, pour lequel la contribution des pèlerins sera désormais de 4 euros.

Problèmes de toujours. Les cartes de malade, leur authenticité, les critères d’attribution, le travail de secrétariat. Les récidivistes ou habitudinaires, venant tous les jours, au nom d’une personne, puis d’une autre, puis d’une autre encore.

Réalisation envisagée. Dans l’intersaison 2010-2011.

Etapes intermédiaires

Le groupe de pilotage, autour de l’évêque, réunira le Père Brito, Mme Goisneau, le docteur de Franciscis, Don Luciano, M. Diella et Mlle Albrech. Des suggestions ont été faites pour solliciter, et des spécialistes de l’hydraulique/aquatique, et des architectes. Un petit groupe examinera plus spécialement les questions concernant les malades.

Durant la saison 2010, le symbole de l’eau sera valorisé lors des processions, de la Messe internationale et, quotidiennement, en association avec le signe de la Croix.

Il sera bon aussi de rassembler le plus grand nombre possible de rituels de groupe (notamment la liturgie de l’eau du Service-Jeunes), utilisant l’eau de la source en dehors des fontaines et des piscines. Il sera bon de relire toute la littérature du thème d’année 2002, en particulier les actes du colloque.

Prochaine rencontre en plenaria : lundi 12 octobre, de 9 h 30 à 17 h 30.

Diffusion de l’information

La présente note peut être diffusée dès maintenant, surtout si elle est accompagnée de la tradition orale. Le projet sera présenté lors de toutes les sessions de l’automne 2009.

+ Jacques Perrier



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